Tutti frutti
Concaténation…
(en informatique, action de mettre bout à bout deux chaînes de caractères)

Lors de la visite en Chine de Mme la conseillère fédérale Micheline CALMY-REY, la brève suivante a été publiée sur le site de Swissinfo le 27 octobre 2006 :

« M. CALMY-REY en Chine : la ministre a signé un accord sur l’éducation et évoqué les droits de l’homme

Au 2e jour de sa visite en Chine, Micheline CALMY-REY a signé avec Pékin un accord sur l’éducation et la recherche. Une déclaration générale d’intentions est prévue. Elle porte sur la protection de l’environnement, des droits de l’homme, de la recherche et du commerce Dans la matinée, la cheffe du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) avait rencontré son homologue LI Zhaoxing. Ils ont notamment évoqué la situation des droits de l’homme en Chine. M. CALMY-REY s’est renseignée sur une religieuse tibétaine abattue par des garde-frontières. La traduction a dès lors été interrompue. »

Le lecteur peut avoir l’impression qu’un incident s’est produit durant la rencontre entre Mme CALMY-REY et M. LI. Un acte grave, puisqu’il est écrit que « la traduction a dès lors été interrompue ». Quelque chose a dû déplaire à la partie chinoise, au moment où le cas de cette religieuse tibétaine abattue à la frontière avec le Népal a été évoqué.

Or, on assiste ici à un cas intéressant de concaténation, c’est-à-dire à la mise bout à bout deux moments qui n’ont rien à faire l’un avec l’autre. Illustrons ceci par les deux photographies suivantes :

Beijing - 27 octobre 2006 - rencontre au Ministère chinois des affaires étrangères Beijing - 27 octobre 2006 - conférence de presse dans les locaux de l'Ambassade de Suisse
Beijing – 27 octobre 2006 – matin
Les délégations chinoise et suisse se rencontrent au Ministère chinois des affaires étrangères.
Beijing – 27 octobre 2006 – fin de journée
Mme la conseillère fédérale Micheline CALMY-REY donne une conférence de presse dans les locaux de l’Ambassade de Suisse.

Durant l’entrevue du matin, la situation des droits de l’homme a fait partie des sujets abordés. Mme CALMY-REY a posé des questions à propos de deux cas individuels et de l’incident survenu à la frontière sino-népalaise, en priant son homologue de lui fournir des informations.
La traduction n’a pas été interrompue pendant ces échanges.

Ce même jour, en fin d’après-midi, Mme la Conseillère fédérale donnait une conférence de presse, à laquelle participait M. Lars KNUCHEL, porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), M. l’ambassadeur Dante MARTINELLI, ainsi qu’un interprète chinois-français, professeur à l’Université de Beijing, engagé par l’Ambassade pour cette occasion. Des journalistes tant chinois que suisses y assistaient.

Parmi les questions posées, une correspondante francophone d’un média suisse a demandé à Mme CALMY-REY si elle avait parlé de l’incident susmentionné avec son homologue des affaires étrangères. A ce moment, l’interprète, qui n’était visiblement pas au courant de cet incident, a traduit de manière approximative en chinois, car il ne voyait pas bien à quoi faisait référence la journaliste. Il y a donc eu un peu de flottement dans l’assistance, plusieurs personnes chinoises ne savaient pas davantage de quoi il en retournait. Mme CALMY-REY a ensuite répondu que ce sujet avait été abordé.

A aucun moment, la traduction n’a donc été interrompue. On peut éventuellement juger qu’elle était chancelante, imprécise ou incomplète. L’interprète chinois n’avait pas connaissance de cet accrochage, puisque ce dernier n’avait pas fait l’objet de reportages dans les médias chinois.

L’information publiée par Swissinfo donne l’image d’une censure étatique, alors qu’en l’occurrence, ce qui s’est produit à la conférence de presse est sans lien avec la rencontre bilatérale du matin au Ministère des affaires étrangères. Les stéréotypes ont la vie dure : même quand il n’y a pas d’interventions autoritaires, on arrive à en fabriquer une de toutes pièces.

Swissinfo accomplit au jour le jour un travail tout à fait remarquable et son service en langue chinoise est une perle. Toutefois, en l’occurrence, malgré les remarques qui lui ont été faites, cette brève est toujours en ligne – au 22 juin 2007 – et n’a pas fait l’objet du moindre rectificatif. Swissinfo argue que l’information originale de l’Agence télégraphique suisse était en allemand, qu’elle a été ensuite livrée à sa rédaction italophone, avant d’arriver à Swissinfo.

Enfin, certains diront que le gouvernement chinois est en cause, puisque les médias qu’il contrôle n’informent pas correctement la population. Sans doute. On aurait pu toutefois se prémunir contre une défaillance, bien pardonnable, d’un interprète. Comment ? Si la Suisse avait ses propres interprètes pour accompagner ses délégations officielles en Chine. Rassurez-vous : jusqu’à fin 2006, ce n’a jamais été le cas… mais c’est en train de changer !