Tutti frutti
Noms propres chinois – Un si joli désordre

A parcourir la presse ou à regarder la télévision, on est frappé par le formidable désordre qui règne dans la transcription en langue occidentale des noms propres chinois. Sans évoquer la translittération elle-même (voir nos pages à ce sujet), inversions, mises en place hasardeuses de traits d’union ou de majuscules, et autres coquilles règnent. Ce chaos se reflète aussi dans la propension qu’ont certains présentateurs de télévision à prendre le prénom pour le nom (l’une des manifestations courantes étant le président Jintao, alors qu’il s’agit du président HU Jintao).

Afin d’illustrer la profondeur de ce mal insidieux, qui nous conduira bientôt à ne plus nous y retrouver du tout dans la jungle des patronymes, prenons un exemple :

M. YANG Zhengfeng a donc pour nom de famille YANG et pour prénom Zhengfeng1. Rappelons au passage que dans la civilisation chinoise, le nom de famille précède le prénom. Ce principe fondamental, à l’image des adresses postales chinoises, fait que l’on va du général au particulier.


Une erreur courante: prendre le prénom pour le nom de famille.
JIANG est le nom de famille, Zemin le prénom.
24 Heures du 5 septembre 2001Barack OBAMA - HU Jintao
Le Nouvelliste, 17 novembre 2009
8 ans après, les présidents changent,
les boulettes demeurent…

Imaginons qu’un texte d’agence comporte le nom indiqué ci-dessus. Imaginons qu’un journaliste se dise que ces noms chinois sont vraiment difficiles à prononcer. Pourquoi ne pas couper le prénom en deux, puisqu’on coupe bien les cheveux en quatre. Il écrit donc: Yang Zheng Feng (pour la clarté de la démonstration, nous soulignerons le nom de famille d’origine – ce qui à l’évidence ne se fait pas dans les médias).
Sur ce, il transmet la dépêche à un de ses confrères, lequel, pour avoir travaillé à la rubrique « Sports », préfère placer le prénom en première position: Zheng Feng Yang. A l’air de l’informatique, on se saurait laisser ceci au hasard.
Quelque temps plus tard, une journaliste qui désire approfondir le sujet où notre infortuné héros s’est aventuré, reprend l’information en question. Elle croit savoir qu’un trait d’union est inséré entre les deux caractères du prénom (lorsqu’il y en a deux2). Dans le même temps, elle se rappelle que, selon un de ses amis doté de quelques rudiments de chinois, le nom de famille vient en premier. Elle ignore tout des opérations antérieures menées par ses collègues. Résultat: Zheng Feng-Yang est un homme neuf!

Dans une autre rédaction où la nouvelle est reprise, le pigiste de service se dit que ce trait d’union ne sert à rien. De plus, il se remémore une discussion avec son chef. Pensant que tout avait été inversé dès le départ, il tape: Feng Yang Zheng!

La jonglerie pourrait se poursuivre jusqu’à extinction de chaleur humaine. Avant de conclure, voici un résumé de quelques versions possibles3:

Yang Zhengfeng Zhengfeng Yang Feng Yangzheng
Yang Zheng Feng Zheng Feng Yang Feng Yang Zheng
Yang Zheng-feng Zheng-feng Yang Feng Yang-zheng
Yang Zheng-Feng Zheng-Feng Yang Feng Yang-Zheng

Oserait-on affirmer dès lors que les noms chinois constituent un groupe commutatif ?

_______
1 La translittération utilisée ici est le pinyin, méthode officielle utilisée en République populaire de Chine.
2 L’insertion d’un trait d’union a cours à Taiwan. Toutefois, la méthode de translittération qui y est utilisée est le wade-gilles. Quant à la pratique, on remarque que la façon de transcrire les noms s’écarte très souvent des principes de base. Ceci pourrait faire l’objet d’une autre notice.
3 L’imagination s’avère particulièrement fertile en ce domaine. Pour ne mentionner qu’une autre façon de transcrire, signalons encore Yang ZhengFeng! Et attendons-nous encore à d’autres développements !


Autre exemple : le président CHEN Shui-bian est appelé par son prénom.
Le Monde 29 avril 2001