Tutti frutti
Reconnaissance – Qui a reconnu la RPC et établi des relations diplomatiques avec elle en premier ?

Télégramme du 17 janvier 1950
«Le Président de la Confédération Suisse a l’honneur d’informer Son Excellence Monsieur le Président Mao Tsé Toung que le Conseil fédéral a décidé de donner suite à la lettre du 4 octobre par laquelle le gouvernement central de la République populaire a attiré son attention sur l’intérêt que présenterait pour les deux pays l’établissement de relations diplomatiques. Il a reconnu aujourd’hui de jure le Gouvernement central de la République populaire chinoise avec lequel il est prêt à établir des relations diplomatiques. Il saisit cette occasion pour former le vœu que continuent à l’avenir les excellentes relations qui ont toujours existé entre la Suisse et la Chine.»

Max PETITPIERRE

Au fil du temps, on a pu régulièrement lire (ou entendre) des phrases telles que :

«Après cinquante-cinq ans de liens diplomatiques, elle [la Suisse] est le pays de l’Ouest aux relations chinoises les plus anciennes.» Tribune de Genève, 16 août 2005
«La Suisse avait été la première (…) à reconnaître la nouvelle République démocratique de Chine [sic!].» 24 heures, 12 août 2005
«Il ne faut jamais oublier que la Suisse a été la première à reconnaître le nouvel Etat, rappelle Walter von Känel [président de Longines].», World Tempus.com, 5 avril 2005.

La Suisse a reconnu les nouvelles autorités de la République populaire de Chine (RPC) le 17 janvier 1950. L’établissement des relations diplomatiques suivra le 14 septembre de la même année. Notre pays n’a nullement été la première nation d’Europe occidentale à établir ces liens.

Voici un tableau qui donne les dates de la reconnaissance et de l’établissement des relations diplomatiques entre quelques pays occidentaux (sans mentionner les pays de l’ancien bloc de l’Est) et la RPC.

Pays
Reconnaissance
Établissement
Grande-Bretagne
06.01.1950
(*) 17.06.1954
Norvège
07.01.1950
05.10.1954
Danemark
09.01.1950
11.05.1950
Finlande
13.01.1950
28.10.1950
Suède
14.01.1950
09.05.1950
Suisse
17.01.1950
14.09.1950
Pays-Bas
11.1954
05.1972
France
27.01.1964
27.01.1964
États-Unis
01.01.1979
01.01.1979
(*) échange de chargés d’affaires; 13.03.1972 : échange d’ambassadeurs.


Cette reconnaissance était surtout une décision politique. Pour le Conseil fédéral de l’époque, il s’agissait de choisir sa propre voie durant la guerre froide, donc de renforcer la neutralité de la Suisse et de sortir de l’isolement consécutif à la deuxième guerre mondiale; de reconnaître la Chine en tant que future puissance régionale; d’éviter le précédent désastreux rencontré avec l’Union soviétique qui n’avait pas été reconnue d’emblée; de protéger les citoyens suisses, en particulier les missionnaires chrétiens détenus en RPC; de protéger et soutenir nos entreprises, tout en espérant le développement d’un commerce bilatéral, bien qu’on ignorât tout de la future orientation du régime.

Les intérêts économiques, bien que certains auteurs prétendent le contraire [1], n’étaient de loin pas prédominants. Du fait de la situation de la Chine avant et durant la deuxième guerre mondiale, les activités avaient été fortement entravées. Les sociétés suisses présentes sur place étaient de type commercial ou des filiales de compagnies d’exportation. La position du Conseil fédéral n’était pas davantage due à un marchandage, – la reconnaissance contre des privilèges accordés en matière économique -, comme on l’entend parfois.

La tendance à s’attribuer la primauté de la reconnaissance, ne touche pas que l’Helvétie. Dans l’édition du Monde du 27-28 avril 2003, page 8, on peut lire : «Le premier ministre [M. RAFFARIN] a joué sur ce registre, se référant même au geste accompli par le général DE GAULLE, qui avait été, en 1964, le premier chef d’Etat occidental à reconnaître officiellement la République populaire de Chine»…

Quelques références :


[1] «Par ailleurs, avec la reconnaissance immédiate et déterminée de la Chine communiste, à la fin de l’année 1949, la Suisse affichait de manière spectaculaire sa présence dans le monde asiatique. Cette démarche surprenante était essentiellement due aux intérêts économiques considérables d’un bon nombre d’entreprises suisses implantées en Chine. Pour une fois, elle primait sur l’anticommunisme ambiant qui est propre aussi bien à l’opinion publique qu’aux milieux diplomatiques.»
Hans Ulrich JOST, Les perspectives atlantiques de la Suisse, p. 4, article paru en anglais sous le titre “Switzerland’s Atlantic Perspectives”, in Marko Miliovojevic and Peter Maurer (eds), Swiss Neutrality and Security. Armed Forces, National Defence and Foreign Policy, New York/Oxford, Berg, 1990, 110-121. [retour au texte]