Archives – 1999
Visite d’État du président de la République populaire de Chine JIANG Zemin
Revue de presse et autres réactions

Lettre d’Amnesty International au Conseil féderal
Le Temps du 20 mars 1999

Reproduit ici avec l’aimable autorisation du journal Le Temps que nous remercions.


JIANG Zemin en Suisse

Daniel BOLOMEY, secrétaire général adjoint, Amnesty International, Section Suisse

Madame la Conseillère fédérale,
Messieurs les Conseillers fédéraux,

Vous allez recevoir en Suisse, du 25 au 27 mars, le président du pays le plus peuplé du monde. Cette visite d’État est de la plus haute importance. Ses résultats concernent donc non seulement le gouvernement, mais notre pays tout entier. C’est pourquoi nous nous permettons de vous interpeller au nom de toutes celles et ceux qui, en Suisse, pensent que le vocable « droits humains » a un sens pour tous et partout.

Amnesty International vous demande avec insistance d’adopter avec le président JIANG une attitude ferme et courageuse sur le dossier des droits humains. Nous estimons qu’il en va de la crédibilité et de la cohérence de la politique des droits de la personne de la Suisse. Mme DREIFUSS, présidente de la Confédération a assuré notre secrétaire général, M. Pierre SANÉ, lors d’une récente rencontre, que la question des droits humains serait à l’ordre du jour de la visite d’État. Mais sous quelle forme?

Depuis plusieurs années, les gouvernements occidentaux, dont la Suisse, ont choisi la voie du « dialogue constructif » avec les autorités chinoises, privilégiant les discussions discrètes aux condamnations. Quel en est le résultat à ce jour? Force est de constater que cette stratégie est loin de porter les fruits escomptés. Alors que certains progrès sont enregistrés en Chine en matière législative et par la signature des pactes des Nations unies, dans les faits, la répression s’est accentuée au cours des derniers mois contre toute forme d’expression libre des opinions et des croyances. Les dissidents sont arrêtés, les usagers de l’Internet sont condamnés, les Tibétains et les Ouïgours sont réprimés avec une extrême violence, des milliers de prisonniers d’opinion croupissent dans les prisons et la détention administrative permet de maintenir en détention ou en «rééducation par le travail», parfois durant des années, des dizaines de milliers de personnes. Sans parler de la peine de mort qui est utilisée de façon massive, sur la base de procès arbitraires et iniques. Ceci, paradoxe inacceptable, après que la Chine a signé en octobre 1998 le Pacte relatif aux droits civils et politiques, tout en soulignant que sa ratification devrait attendre…

Madame la Conseillère fédérale,
Messieurs les Conseillers fédéraux,

Nous vous demandons dès lors s’il est justifié que la Suisse poursuive dans la voie du « dialogue constructif ». Nous sommes à la veille de la 55e session de la Commission des droits de l’homme des Nations unies. Comme chaque année, la Chine souhaite éviter toute résolution concernant son bilan catastrophique dans le domaine des droits humains. C’est dans ce contexte que le nouvel ambassadeur de Suisse en Chine, M. Dominique DREYER déclare: « Depuis que les pays occidentaux ont renoncé l’an dernier à leur menace de déposer une résolution auprès de la Commission des droits de l’homme, la Chine montre une plus grande disponibilité à évoquer cette question. » S’agit-il vraiment de la position de la Suisse? N’y a-t-il pas là une abdication face aux pressions de la Chine, qui conditionne ses relations économiques à l’absence de critiques concernant les droits humains? Amnesty International n’est pas opposé au dialogue. Au contraire. Cependant elle est d’avis que le dialogue ne doit pas être un but en soi et qu’il doit être évalué à l’aune des résultats engendrés. Si la Suisse, lors de la visite du président chinois ne fait pas le bilan de ce dialogue et renonce à toute déclaration publique sur cette question, elle court le risque de plier devant les pressions chinoises. Il suffit de voir les milieux économiques helvétiques se mettre en quatre pour obtenir les faveurs des autorités chinoises. Qu’en est-il de leur responsabilité face aux populations chinoises et l’environnement?

M. le Conseiller fédéral COTTI a déclaré au parlement que la discussion du thème des droits humains devait avoir lieu en dehors du « concert médiatique ». Désolé, mais de nombreuses manifestations sont d’ores et déjà programmées. Nous devons cependant déplorer, que pour des questions de sécurité, celles-ci soient interdites aux abords du Palais fédéral au moment de la réception de M. JIANG Zemin le 25 mars. Cette grave entrave à la liberté d’expression n’est-elle pas le prix de la poursuite du « dialogue constructif »? Le courage politique est de laisser s’exprimer les citoyens lors de la visite du président chinois à Berne et de lui soumettre les nombreuses recommandations des organisations de défense des droits humains, la plus urgente étant d’accepter la visite en Chine des rapporteurs spéciaux des Nations unies. Un minimum qui ne saurait être sacrifié aux intérêts économiques sino-helvétiques.

En vous remerciant de votre attention, nous vous souhaitons « Bon courage ».

Avec l’expression de nos salutations distinguées.