Archives – 1999
Visite d’État du président de la République populaire de Chine JIANG Zemin
Revue de presse et autres réactions

Le 30 mars 1999, le journal Le Temps a publié une lettre de lecteur que nous lui avions adressée. Malheureusement, le texte publié n’est pas la dernière version que nous lui avions transmise. De plus, il manque tout le début, signalé par un […] et toute la fin, indiquée par… rien du tout, car il semble que les […] aient sauté.
Afin que vous puissiez vous faire une idée de ce que nous tenions à dire, vous trouvez ci-dessous le document d’origine et, dans l’image reproduite ci-contre, ce qui a été sélectionné par Le Temps.


Devoir d’État non tenu

Lettre de lecteur - Le Temps - 30 mars 1999

Controverse à propos de l' »incident diplomatique » helvéto-chinois de la semaine dernière ? Les choses sont pourtant claires : il y avait une responsabilité d’État à recevoir correctement le président JIANG Zemin.

Son éclat n’a pas été provoqué que par la présence, sur la Bundesplatz, de manifestants le conspuant et de militants postés sur les toits. Depuis plusieurs jours, la plupart des médias et des mouvements en faveur des droits de l’homme avaient non seulement fait monter la pression, mais donné à prévoir un accueil mouvementé. Un immense drapeau tibétain avait été déployé en contrebas de l’Hôtel Bellevue; on avait vu, selon la NZZ du 25 mars, le spectateur Pascal COUCHEPIN [conseiller fédéral à l’époque] assister à une manifestation pro-tibétaine organisée la veille; un faire-part d’Amnesty consécutif à l’exécution de six Oïgours avait paru le jour même de l’arrivée présidentielle, tandis qu’une émission de Temps présent était diffusée, en soirée, sur les ondes de la télévision romande.

Tous ces événements étaient certainement connus des milieux chinois chargés d’organiser la visite du président chinois: en Suisse, JIANG Zemin serait tout sauf bienvenu. Ce qui devait arriver arriva donc, après quoi l’on inversa, dans des éditoriaux vengeurs, les positions de l’offenseur et de l’offensé – au point qu’un journal intitula sa manchette:  » Le président chinois offense la Suisse « .

Ce couac a faussé les relations qui auraient pu s’établir entre les visiteurs chinois et les autorités suisses, celles-ci ne consistant pas qu’en des amateurs de courbettes et autres  » cireurs de pompes « . Si une part de calcul est probable dans la réaction du président JIANG ( » puisque vous m’avez donné une raison de me fâcher, je vais rendre mon écoute plus sévère et sélective « ), il n’en demeure pas moins que la Suisse ne s’est pas montrée à la hauteur d’un devoir d’État. En 1992, un incident diplomatique s’était déjà produit lors de la visite de M. LI Peng. Pourquoi inviter un chef d’État, venant au surplus de Chine, pays dont on connaît la science de l’étiquette et du protocole, pour le placer dans un traquenard?

En Occident, nous estimons que l’expression spontanée et la proclamation bruyante sont les seules manières de manifester sa réprobation, alors que les Chinois privilégient le plus souvent ce qu’on nomme en anglais l’understatement, consistant à réduire le caractère massif ou carré des paroles pour mieux diffuser la pensée. D’aucuns pensent qu’une leçon de démocratie en direct a été administrée au président JIANG. Méthode optimale, vraiment? La délégation chinoise n’avait-elle pas déjà compris  » la leçon  » ? En quoi le tumulte de la Bundesplatz a-t-il fait progresser la difficile discussion avec nos partenaires chinois?

En outre, la visite d’un chef d’État est aussi ceci: une rencontre entre peuples. Que ressentiront les Chinois devant cette hostilité et ces vociférations? La Suisse n’aura-t-elle pas affiché, selon leur perception telle qu’il nous faut essayer de l’imaginer, une duplicité choquante? Pour faire du commerce, OK; mais pour le reste, érigeons-nous en moralisateurs et renvoyons la Chine à ses démons autoritaires. La Chine, elle, assume: capitaliste en affaires et communiste pour le reste.

On dira peut-être que toute cette affaire doit être examinée dans une perspective affective: quand la misère et l’iniquité fleurissent n’importe où dans le monde, n’écoutons que notre belle âme et calicotons à tout va. Or sur ce point, léger problème à propos de la Chine: la Chaîne du bonheur a été incapable (ou ne s’est pas donné les moyens) de réaliser une collecte, qui aurait été l’expression d’une véritable solidarité, à la suite des inondations de 1998 – par manque  » d’écho  » dans la population helvétique.

Plutôt que nous réfugier dans les stéréotypes réducteurs, nous aurions pu profiter de l’occasion suscitée par la visite présidentielle pour évoquer la Chine de 1999, la nature de son régime, les défis qui l’attendent, sa situation sociale et économique réelle, enfin la vie quotidienne telle qu’on l’éprouve là-bas. Nous aurions pu nous rappeler que dans quelques semaines, les Chinois commémoreront le 80ème anniversaire du  » mouvement du 4 mai « , qui plaça d’une manière éclatante les idéaux de la démocratie et de la science sur le devant de la scène. Et nous aurions pu évaluer, grâce à nos hôtes de quelques jours, les aptitudes de la Chine à puiser dans ses propres ressources pour façonner à son usage un système politique démocratique autonome, dont les valeurs ne seraient pas, enfin, des produits d’importation.